septembre 04, 2011

Sur le risque d’une méprise sur les motifs de l’Incarnation


Jean MEYENDORFF en sa fondamentale Initiation à la théologie byzantine, rapporte les termes qui suivent selon la 16° Homélie de Grégoire de Palamas (1).

« Le Verbe se fit chair pour honorer la chair,  même cette chair mortelle, afin que les d’esprits fiers et ne se considèrent pas ne soient pas considérés dignes d’honneurs plus élevés que l’homme, afin qu’ils ne se déifient pas eux-mêmes  à cause de leur caractère incorporel et de leur apparente immortalité. »

ii

La Tradition Byzantine ne semble  pas – mais je peux me tromper –  avoir insisté ou développé les rasions de l’Incarnation par rapport au fait des Alliances antérieures tentées entre Dieu et Sa créature, à la suite de la Chute, ni proclamé clairement que le premier chef de l’Incarnation fut de réparer le lien qui unissait l’homme à Dieu,  qui fut rompu par le refus de la vie intemporelle que Dieu proposait à nos premiers parents

« Le mystère du Christ » est la même chose que « le Christ ». C’est manifestement une indicible et inconcevable union selon l’hypostase de la divinité avec l’humanité, amenant l’humanité à la même chose que la divinité » déclare Maxime le Confesseur (2)

Sans Chute même, Dieu se serait Incarné, selon Maxime qui ajoute : « C’est là le grand mystère caché. C’est là la fin bienheureuse à cause de laquelle toutes les choses ont été faites. C’est là le but divin, conçu d’avance, du commencement des êtres, que nous appelons pour le définir : « la fin préconçue à cause de laquelle sont toutes choses, mais qui n’est elle-même à cause de rien. » C’est en fixant Son regard sur cette fin que Dieu a produit les essences des êtres. C’est là proprement la limite de la Providence et des êtres prévus, limite selon laquelle s’effectue la récapitulation en Dieu de tous les êtres créés par Lui. C’est là le mystère englobant tous les siècles et manifestant le grand Conseil de Dieu, qui est plus qu’infini et qui préexiste infiniment aux siècles (Ep 1, 10-11), Conseil dont celui qui est par essence le Verbe même de Dieu est devenu l’Ange, Lui-même, s’il est permis de parler ainsi, ayant rendu manifeste le fondement le plus intérieur de la bonté paternelle, et ayant montré en Lui la fin à cause de laquelle les choses qui ont été faites ont reçu le commencement en vue de l’être. (2).

III

Le problème qui se pose n’est pas celui de la liberté de Dieu de s’incarner ou non, mais de s’interroger sur le sens de l’Incarnation.

Avant la Chute, l’homme vit en relation avec Dieu, dans et avec La Présence de Dieu. Créé à l’image et à la ressemblance, l’image devant tendre à la ressemblance, ce Devoir suffit à conduire nos premiers parents vers la déification.

Quand Maxime termine son exposé par ces mots : « En effet, il fallait en vérité que Celui qui est vraiment selon la nature le créateur de l’essence des êtres devînt aussi Celui qui opère par Lui-même la déification des êtres selon la grâce, afin que le Donateur de l’être se manifestât aussi comme Celui qui donne la grâce du « toujours être-bien ». (2),  ce Père a-t-il pensé que déjà cette déification était possible dans le jardin d’Eden ? N’est-ce pas l’objet de la première tentative de tentation du Christ au Désert que d’exorciser l’origine de notre Chute, le refus de la vie intemporelle au profit d’une vie temporelle dont les conséquences passent par la nécessité pour l’homme  de se nourrir par ses propres moyens, parce que l’être  méprisa sa relation à Dieu comme  unique et nécessaire nourriture ?


Si donc la déification était possible dès l’Eden par la nourriture des seules Paroles de Dieu (Mat. IV, 4), ce n’est pas par obligation, mais par choix que nos premiers parents, dans une totale liberté, choisirent la vie intemporelle : le serpent n’oblige en rien Eve à succomber, d’autant que le dialogue ne porte pas sur l’arbre sur lequel Dieu mit un interdit (Gen. II, 17), mais sur cet autre arbre qui est au milieu du jardin et sur lequel aucun interdit n’est porté (Gen. II, 8, 9 ; Gen. III, 3-6).


Librement, l’homme refuse la vie intemporelle proposée par Son Créateur, si donc ce rejet volontaire ne s’était pas produit, quelle Présence aurait été celle du Verbe dans le champ de la Création ?


-         La réparation par l’Incarnation, la mort et la résurrection ? Certainement pas puisque sans objet du fait de cette vie de l’homme animée uniquement par la Parole et La Présence de Dieu entendue dans Sa Très Sainte Trinité

-         Mais le Verbe peut-il se faire chair pour honorer la chair, dès lors qu’il n’y aurait pas de chair ?  Parmi les conséquences de la Chute figure la corporéité de l’homme (Gen. III, 7), cette corporéité dont le maître alexandrin nous explique qu’elle résulte de la Chute : « Comme nous l'avons dit plus haut cette substance matérielle a une nature apte à se transformer de tout en tout : lorsqu'elle est employée pour les êtres inférieurs, elle prend la forme d'un corps plus épais et plus solide, et par là sont distinguées les espèces visibles et variées du monde ; mais quand elle est utilisée par les êtres parfaits et bienheureux, elle brille dans la splendeur des corps célestes, et orne du vêtement du corps spirituel les anges de Dieu et les fils de la Résurrection : c'est avec tous ces derniers que parvient à sa perfection l'état divers et varié du monde unique. » (3)

La Chute produit la matière, la chair, ainsi nos premiers parents s’aperçoivent-ils qu’ils sont maintenant nus (Ge n. iii, 7), lorsqu’ à l’inverse  les anges sont sans corporéité, comme le vent ou le feu : « Des vents il fait ses messagers, et des flammes, ses ministres. » (PS ; CIV, 4).
 

Le Verbe n’a pas à Se faire chair dès lors qu’il n’y aurait pas de Chute. L’Incarnation n’a sa raison d’être que sous réserve de cette Chute, et ne saurait constituer un dessein Divin quel que soit le devenir de la créature.


Sans la Chute l’Incarnation était inutile puisque La Présence de Dieu Père, Fils et Esprit-Saint est manifeste, c’est d’ailleurs toute la théologie des énergies divines qui prend ici le relais.


Jean-Pierre BONNEROT

 ------------------ Notes

1 – Jean MEYENDORFF, Initiation à la théologie byzantine, Cerf Ed, 1975, page 192. Signalons la réédition récente d ce livre fondamental.

2-  Maxime le Confesseur, Questions à Thalassius, 60 ; PG 90, 620C, nous utilisons la traduction proposée SUR Internet.  http://orthodoxie.typepad.com/ficher/MaximeConfesseuThal60.pdf

3 – ORIGENE Traité des Principes, II, 2. Div. Ed. Nous utilisons par commodité la traduction proposée par  le CD de « Verbum Domini ».

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