septembre 03, 2011

L’Incarnation du Verbe, mystère connu avant tous les siècles


Maxime le Confesseur
 
Introduction


Saint Maxime le Confesseur prend prétexte du commentaire de ce passage de la première épître de l’Apôtre Pierre (1, 19-20) - « le Christ, connu avant la fondation du monde et manifesté dans les derniers temps à cause de vous » - pour exposer avec profondeur le mystère de l’union des natures humaine et divine dans le Christ, en relation avec le projet éternel des trois Personnes divines de permettre à toutes les créatures d’atteindre le but que Dieu a voulu pour elles de toute éternité : la déification par grâce.

 Ce passage célèbre des Questions à Thalassios (chapitre 60) témoigne de façon
caractéristique, derrière un style un peu compliqué, de l’ampleur de la vision théologique, cosmologique et anthropologique du grand théologien byzantin pour qui tout le sens de la création et tout le sens de l’existence de l’humanité passée, présente et à venir se résume dans le mystère central de l’Incarnation.


Texte


Le mystère du Christ, la parole de l’Écriture l’a appelé « Christ » (1 Pi 1, 19-20), et le
grand  Apôtre en témoigne clairement en parlant ainsi : « Le mystère caché depuis les siècles et les générations a été maintenant manifesté » (Col 1, 26-27), disant
évidemment que « le mystère du Christ » est la même chose que « le Christ ». C’est
manifestement une indicible et inconcevable union selon l’hypostase de la divinité avec l’humanité, amenant l’humanité à la même chose que la divinité, de toutes les façons, par la raison de l’hypostase, faisant des deux une seule hypostase composée, n’entraînant d’aucune manière une diminution quelconque de leur différence essentielle selon la nature, en sorte que, d’une part, des deux [natures] l’hypostase devienne unique, comme je l’ai dit, et que, d’autre part, demeure intacte la différence naturelle, selon laquelle même après l’union la quantité naturelle des deux, même unies, est conservée sans diminution. Là en effet où, selon l’union, absolument aucune épreuve de changement ou d’altération n’a suivi pour les réalités qui ont été unies, le principe essentiel de chacune d’elles est resté intact. Et celles dont le principe essentiel est resté intact même après l’union, leurs natures sont demeurées sans dommage en tout point, aucune ne reniant, à cause de l’union, quoi que ce soit de ce qui lui appartenait.

 Il convenait en effet au Créateur de toutes choses qui est devenu par nature, selon
l’économie, ce qu’Il n’était pas, d’être conservé Lui-Même immuable, et quant à ce
qu’Il était selon la nature, et quant à ce qu’Il est devenu par nature selon l’économie.
 
En effet, on ne saurait voir de changement en Dieu, en qui on ne conçoit aucun
mouvement.

 C’est là le grand mystère caché. C’est là la fin bienheureuse à cause de laquelle toutes les choses ont été faites. C’est là le but divin, conçu d’avance, du commencement des êtres, que nous appelons pour le définir : « la fin préconçue à cause de laquelle sont toutes choses, mais qui n’est elle-même à cause de rien. » C’est en fixant Son regard sur cette fin que Dieu a produit les essences des êtres. C’est là proprement la limite de la Providence et des êtres prévus, limite selon laquelle s’effectue la récapitulation en Dieu de tous les êtres créés par Lui. C’est là le mystère englobant tous les siècles et manifestant le grand Conseil de Dieu, qui est plus qu’infini et qui préexiste infiniment aux siècles (Ep 1, 10-11), Conseil dont celui qui est par essence le Verbe même de Dieu est devenu l’Ange, Lui-même, s’il est permis de parler ainsi, ayant rendu manifeste le fondement le plus intérieur de la bonté paternelle, et ayant montré en Lui la fin à cause de laquelle les choses qui ont été faites ont reçu le commencement en vue de l’être. Car par le Christ - c’est-à-dire le mystère du Christ -, tous les siècles et toutes les choses qui sont dans ces siècles ont pris sûrement en Lui le principe et la fin de leur être. Car avant les siècles a été préconçue l’union de la limite et de l’illimité, du mesuré et de l’immensurable, du fini et de l’infini, du Créateur et de la créature, du repos et du mouvement. Cette union est advenue en Christ, manifesté dans les derniers temps, donnant en elle-même plénitude à ce qui était connu d’avance par Dieu afin que, autour de ce qui par essence est totalement immobile, se tiennent les créatures qui par nature sont mues, après avoir totalement dépassé le mouvement vers elles-mêmes et vers les autres, et afin qu’elles reçoivent par expérience la connaissance en acte de Celui en qui
elles ont été jugées dignes de se tenir, connaissance inaltérable, possédée toujours de la même manière, et procurant la jouissance de Celui qui est connu.

 [...] Ce mystère a été préconnu avant tous les siècles par le Père et le Fils et le Saint-
Esprit, le premier en étant bienveillant, le second en l’accomplissant Lui-même, le
troisième en coopérant avec Celui-ci. Car la connaissance qu’ont le Père, le Fils et le
Saint-Esprit est une, parce qu’une aussi est leur essence et leur puissance. En effet, le Père n’ignorait pas l’Incarnation du Fils ; le Saint-Esprit non plus ; car dans le Fils tout entier, opérant Lui-même le mystère de notre salut par l’Incarnation, est le Père tout entier selon l’essence, non incarné mais bienveillant pour l’Incarnation du Fils ; et dans le Fils tout entier existe selon l’essence l’Esprit Saint tout entier, non incarné mais opérant en commun avec le Fils l’Incarnation indicible pour nous.Donc que l’on dise soit « le Christ », soit « le mystère du Christ », la Sainte Trinité -Père, Fils et Saint-Esprit - en a par essence la préconnaissance. Et nul ne se demanderait comment le Christ, l’un de la Sainte Trinité, est préconnu d’elle, sachant que ce n’est pas en tant que Dieu que le Christ a été préconnu mais en tant qu’homme, donc que c’est Son incarnation selon l’économie à cause de l’homme qui a été préconnue. En effet, ne peut être préconnu ce qui est toujours, au-dessus de toute cause et de toute raison d’être. Car il y a préconnaissance des choses qui ont commencé d’être pour une certaine cause. Le Christ a donc été préconnu non en ce qu’Il était par Lui-même selon la nature, mais en ce qu’Il est apparu et devenu ensuite selon l’économie à cause de nous. En effet, il fallait en vérité que Celui qui est vraiment selon la nature le créateur de l’essence des êtres devînt aussi Celui qui opère par Lui-même la déification des êtres selon la grâce, afin que le Donateur de l’être se manifestât aussi comme Celui qui donne la grâce du « toujours être-bien ».

 Introduit et traduit par Jean-Claude LARCHET



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